Entre l’État et le marché, quelle place pour les associations ?

Pour son 4e webinaire proposé dans le cadre des Chantiers de l’éducation populaire, la Ligue 95 avait choisi un sujet à la fois technique et politique. En effet, la soirée du 9 juin était consacrée à l’évolution des modes de financement public des associations. En toile de fond, c’est le changement du modèle associatif dans son rapport à l’État social qui était en question.

Colas Amblard, avocat spécialiste du droit des associations, plus spécifiquement dans leurs activités économiques, brossait un tableau complet du sujet. Pour commencer, l’intervenant consacrait quelques instants aux subventions « qui restent un financement significatif ». Encadrée par la loi Hamon de 2014 (art. 59), la subvention laisse à l’association l’initiative du projet. Ce n’est pas le cas de la commande publique, qui, par définition est à l’initiative de la collectivité locale, l’association étant alors un opérateur de celle-ci.

Quant à la délégation, elle suppose, bien entendu qu’il y ait un service public à déléguer à une association. Comme le faisait remarquer l’avocat, il y a « une sorte de porosité entre ces trois modes ». S’appuyant sur les travaux de la chercheuse Viviane Tchernonog qui étudie le paysage associatif depuis de nombreuses années, il citait quelques chiffres parlants : entre 2005 et 2017, la part des subventions dans le budget des associations est passé de 34 à 20 %. En parallèle, le financement lié à une ou des commandes publiques passe de 17 à 24%.

Loin de dresser un tableau en blanc et noir, Colas Amblard faisait remarquer que ce sont les grosses associations qui drainent les plus forts volumes de subventions, devenant alors des rentes de situation. Il questionnait l’argumentaire des collectivités locales justifiant ces répartitions par les emplois générés par les grosses structures.

 

Les appels à projets : transparence ou concurrence ?

L’explosion des appels d’offres et des appels à projets au détriment des subventions est patente. Bien sûr, ces procédures « génèrent une sorte de mise en concurrence des associations ». « Mais rien ne les empêche de se rassembler pour répondre en commun », ajoutait l’intervenant. Celui-ci notait aussi que, grâce à la définition de critères, les appels à projets permettent à celui qui n’a pas été attributaire de se retourner contre la collectivité donneuse d’ordre.

Parmi les participants, Stéphane Badeigts, secrétaire général de la Ligue de l’enseignement de Haute-Savoie posait la question de la propriété intellectuelle : « en cas de changement de majorité politique, comment peut-on se retourner contre une collectivité locale qui reprend un de nos projets et le soumet à la commande publique ? ». Colas Amblard constatait que les associations « n’ont pas le réflexe inné de protéger ce qu’elles créent, notamment en matière d’innovation sociale ; c’est un vrai sujet ».

Invité à témoigner, Alain Chabo, DGA de l’association Espérer 95, une importante structure active dans le champ social, expliquait le fonctionnement à l’œuvre. « On identifie des besoins, on y répond, puis il faut faire reconnaître notre travail par la puissance publique. » Il décrivait un mécanisme presqu’inverse de celui cité en Haute-Savoie : « nous avons réalisé une expérimentation à l’échelle départementale et l’État l’a repris à l’échelle régionale ».

Fort son expérience de président de la chambre régionale de l’économie sociale et solidaire, Éric Forti rebondissait sur l’incitation de Colas Amblard à se regrouper pour répondre à un appel à projets : « il est très difficile pour les structures d’insertion par l’activité économique de s’organiser collectivement. Chacune a un savoir spécifique. »

Joël Roman, vice-président de la Ligue 95, évoquait l’étude de cas qu’il avait réalisée en 2008 pour dénoncer la marchandisation de l’aide humanitaire, en l’occurrence l’action de la Cimade dans les centres de rétention, soumise à un appel d’offres de l’État. L’essayiste s’interrogeait sur la pertinence de « faire rentrer dans le marché des activités de service public ». Avec Éric Forti, il appelait à la co-construction entre l’État et les associations. « Il faut réhabiliter le principe de l’initiative », ajoutait ce dernier.

On l’aura compris, ce webinaire n’était pas là pour rassurer le monde associatif qui se complexifie. L’innovation sociale qu’il porte doit se développer hors du modèle entrepreneurial que l’État et les entreprises privées tente d’ériger comme la panacée.

Visionner le webinaire du 9 juin

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