Et maintenant ? – Joel Motyl

Au lendemain des terribles évènements de la semaine passée et après une intense communion populaire rassemblée autour de valeurs communes, l’ensemble de la presse, des responsables, des citoyens s’interrogent. Et maintenant ?

Maintenant, c’est bien sûr que la République apporte la plus forte des réponses au terrorisme, une fermeté implacable dans le respect de ce que nous sommes, un Etat de droit, et le Premier ministre vient de le faire, à la hauteur des enjeux de sécurité pour notre pays et de ces nouvelles formes de terrorisme, national et international.

Maintenant, c’est aussi porter, comme le Premier ministre vient également de le faire, un diagnostic lucide sur l’état de notre société et des enjeux qu’elle doit relever, en tirant toutes les leçons de ce qui s’est passé. Et, en particulier de ce constat que ce qui fait que nos principes républicains, la liberté, l’égalité, la fraternité et, surtout, la laïcité, ces principes que celles et ceux qui ont manifesté ce 11 janvier entendent défendre et autour desquels ils se sont rassemblés, et bien que ces principes ne sont ni compris ni partagés au mieux, combattus au pire, à supposer même qu’ils aient été enseignés, par une partie de notre population et notamment une partie de la jeunesse issue de l’immigration née et ayant grandi en France.

La complexité de la situation, la cristallisation d’un malentendu sociétal fondé sur une approche historique de la laïcité spécifique à la société française aujourd’hui remise en cause par de lourdes évolutions sociétales et internationales n’en finit pas de produire des fractures de plus en plus ouvertes depuis des décennies.

Car enfin, dans un pays où les uns et les autres ne cessent de rappeler que la laïcité est le fondement de la société, on cherche désespérément l’endroit où est approché, discuté, enseigné tout ce qui concourt à la formation des esprits sur ce sujet. La laïcité qui est une notion complexe, ne fait pas l’objet, dans nos, écoles et dans nos collèges d’une approche programmatique au même titre que l’histoire ou le français.

Ainsi, dans un monde où les individus, notamment dans le parcours scolaire et du fait de la circulation des populations dans nos sociétés, sont confrontés au sein de la même classe, à des histoires, des langues, des traditions et des croyances  variables et multiformes traduisant en cela une mutation en profondeur de la société française, la réaffirmation incantatoire de nos principes républicains, la laïcité, la liberté, l’égalité et la fraternité ne peut suffire, au risque de de voir ces concepts structurés autour d’une idée, d’une loi et d’un projet pour la société se transformer en dogmes désincarnés sans lien avec le réel.

Pour avoir été, comme d’autres en face de ces réalités, en étant enseignant puis directeur d’école dans des milieux « d’éducation prioritaire » où étrangement, la richesse des diversités et des parcours des élèves se confond avec des niveaux sociaux très bas,  j’ai compris assez vite que ces incantations et ces rappels à l’ordre laïque n’avaient de sens pour les élèves que si on les insérait dans  une stratégie globale d’éducation.

Comment imaginer, encore aujourd’hui, que nous n’abordions pas comme un sujet d’étude, très tôt à l’école, des sujets tels que l’histoire des religions dans le cadre d’une initiation à l’anthropologie religieuse ? Pourquoi la laïcité ne fait-elle pas l’objet d’un enseignement spécifique à l’école ? Pourquoi à l’heure où le monde s’organise via des réseaux sociaux n’y a-t-il pas un enseignement doté de contenus d’apprentissages relatifs à l’usage et à l’étude ces moyens de communication ? Pourquoi n’y a-t-il pas obligatoirement des contenus d’apprentissages liés à l’étude et à la lecture critiques d’images ? Pourquoi l’histoire enseignée à l’école et dans les collèges occulte-t-elle toujours autant la réalité historique ? Pourquoi la formation des enseignants est-elle à ce point déconnectée des réalités de terrains ?

Nous avons depuis des années, abandonné l’éducation du point de vue de son projet sociétal. Nous avons abandonné la laïcité transformée en un étendard que l’on agite pour se protéger, sans volonté politique de l’incarner dans un projet éducatif global mais en en faisant un drapeau parfois dévoyé de son sens commun, au profit de projets politiques cachés, parfois nauséabonds.  Il n’est d’ailleurs pas innocent que se soit caché derrière cette belle idée, tout ce que la société a produit comme comportements islamophobes depuis des années.

Cette captation par certaines élites de la question de la laïcité, comme fer de lance de lance de leur lutte contre les religions ou le fait religieux, n’apaisera pas le débat sur la religion, parce que leur approche ne repose pas sur une interprétation moderne et dynamique de la laïcité.

Evidemment ce débat ne règlera pas la question du chômage dans les banlieues. Cela ne règlera pas non plus la question des parcours individuels de plus en plus marqués par les mécanismes de reproduction sociale.

L’objectif est ailleurs et quelque part il est plus essentiel. Il s’agit pour nous, de trouver les moyens, dans un temps où les différences de cultures, de traditions, de religions, de classes sociales sont de plus en plus  présentes au même moment et au même endroit, de redonner à notre projet éducatif les moyens d’accueillir au sein de l’école française toute la richesse du monde, accordé dans une vision commune du « vivre ensemble ».

La dramatique semaine qui s’est achevée par cette extraordinaire marche laisse un pays bien plus interrogatif et inquiet qu’avant. Certes, le terrorisme, la barbarie alimentent cette inquiétude, mais alimente aussi une angoisse de plus en plus palpable, celle du lendemain et de l’avenir.

La clé se trouve à l’école, dans nos collèges, dans notre ambition éducative…

 

Joel Motyl
Maire-adjoint, ville de Cergy
Chargé de la culture et des évènements culturels
Conseiller délégué, agglomération de Cergy-Pontoise
Chargé des sports, de la jeunesse et de la vie étudiante

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