Ouverture des Chantiers de l’éducation populaire

Pour son premier débat en visioconférence, le 9 décembre, la Ligue de l’enseignement a rencontré un franc succès ! Près de 80 personnes ont suivi le webinaire qui posait la question Comment vivre ensemble ? Ouvrant Les Chantiers de l’éducation populaire, ce débat traitait de la laïcité et de la manière d’apaiser les fortes tensions qui marquent les relations sociales aujourd’hui. Pendant plus d’une heure et demie, quatre intervenants ont livré leur analyse et leur expérience : Joël Roman, Pauline Motyl, Philippe Renou et Mohammed El Kahodi.

Voir ci-dessous le compte rendu, à moins que vous ne préfériez revoir ce webinaire in extenso ou consulter le dossier participants

 

1905, une grande loi de liberté

Le philosophe Joël Roman, vice-président de la Ligue 95 (il a aussi présidé la confédération nationale durant un an) fixait le cadre du webinaire. « Vivre ensemble est une notion récente. On a longtemps considéré que la société allait de soi ». À ses yeux, la loi de 1905, dont on fêtait, jour pour jour, le 115e anniversaire, est « une grande loi de liberté, qui laisse aux religions la liberté de s’organiser comme elles veulent ».

Opérant une distinction entre l’État et l’espace public, qui appartient à tout le monde, J. Roman insiste sur le fait que la neutralité, telle qu’elle est envisagée par la loi de 1905, s’applique au premier mais pas au deuxième. Les bâtiments, les cérémonies et autres manifestations religieuses peuvent donc se dérouler sur la place publique. Dans un rappel historique, celui qui a étudié la mise en tension du fait social et du fait religieux précise que la laïcité ainsi définie par la loi ne bénéficiait pas aux musulmans d’Algérie. Dans « la salle virtuelle », Roger parle aussi des juifs d’Algérie. Mais, depuis 1870 et les décrets Crémieux, rappelle Didier Arlot de la FCPE 95, ils bénéficiaient du statut de citoyen à part entière, contrairement aux « indigènes » musulmans.

Convoquer l’histoire

Il était assez normal qu’une historienne comme Pauline Motyl, enchaîne sur l’histoire : « l’Algérie était le seul pays où ne s’appliquait pas la loi de 1905, car l’État français voulait surveiller les mosquées, terreau de la résistance au colonisateur ». Celle qui enseigne l’histoire-géographie dans un collège de Livry-Gargan décrit ensuite les difficultés de sa mission. « On enseigne toutes les questions qui fâchent, le fait religieux, les croyances… ».

Alors, la laïcité est-elle pour les professeurs un levier ou un obstacle ? « Le cadre laïque est essentiel pour enseigner ces sujets ». Cependant, les élèves le perçoivent de plus en plus comme leur interdisant de pratiquer leur religion, d’exprimer librement leur appartenance à un système de valeurs et les renvoie à une sous-citoyenneté ».

« Il ne faudrait pas tomber dans une laïcité de combat qui partirait en guerre contre les croyances religieuses », ajoute-t-elle. L’expression est lâchée. Sur le chat aussi, on s’exprime à ce sujet. Guy Plassais, le président de la Ligue 95, fait remarquer que « la loi de 1905 ne s’est pas faite sans combat ». Cette opinion est à mettre en regard de l’analyse de Joël Roman sur le contexte de l’époque, dans lequel les artisans de la loi se sont attachés à « penser le compromis ».

 

Du compromis à la convivialité

Philippe Renou, vice-président de la FCPE 95, relie le vivre ensemble aux conditions d’action de la communauté éducative. « Depuis 2008, (date à laquelle il a pris des responsabilités dans la fédération de parents d’élèves), j’ai vu les moyens de l’école grignotés peu à peu. On discute de moins en moins dans la communauté éducative. » Et ce père de quatre enfants témoigne avec nostalgie des temps conviviaux comme les kermesses qui disparaissent, les samedis matin « où j’accompagnais ma fille à l’école. On pouvait discuter entre parents, désamorcer des tensions. »

Dans le même esprit, la FCPE milite contre les heures supplémentaires, contre les emplois du temps des enseignants partagés entre plusieurs établissements. P. Renou dénonce aussi ces collèges « qui se mettent hors la loi en supprimant un des trois conseils de classe, pourtant moments privilégiés de rencontre entre professeurs, délégués d’élèves et de parents et représentants de l’administration ».

Cette nécessité d’espaces de dialogue entre les jeunes et les adultes, éducateurs au sens large, et entre les jeunes eux-mêmes, est partagée par les quatre intervenants. « Il faudrait restaurer la confiance entre les profs et les parents, base d’une relation indispensable entre les enseignants et les familles », ajoute Pauline Motyl.

 

Le respect des communautés

Il revenait à Mohammed El Kahodi de boucler le tour d’horizon des différents acteurs de la communauté éducative, au nom des associations. Ce dirigeant associatif de longue date, dans les quartiers populaires d’Argenteuil, de Nanterre, dresse un constat d’échec qui remonte à loin. « On rencontre aujourd’hui les mêmes problèmes qu’il y a 30 ans, dans nos actions périscolaires. On n’a pas assez de moyens publics et les bénévoles se font rares. »

Selon lui, il n’y a pas de raison de changer les lois, car la question n’est pas là.

Ayant longtemps travaillé à l’étranger, M. El Kahodi compare la gestion communautaire en France et dans les pays anglo-saxons. « Les communautés y sont acceptées en tant que telles. Cela permet de vivre ensemble. » Et de citer l’exemple de la police britannique qui reflète les différentes composantes de la société. « Pourquoi un policier sikh qui porte le turban ferait-il moins bien son travail ? » interroge-t-il.

Au chapitre de la sémantique, dont il fut plusieurs fois question ce soir-là, M. El Kahodi relève la connotation neutre des mots christianisme, judaïsme, bouddhisme, quand islamisme offre le sens négatif qu’on lui connaît.

Ne pas chercher à lisser les aspérités, respecter que l’autre puisse exprime publiquement ses opinions, ses croyances, autant de postures qui font l’unanimité autour de la table. En guise de conclusion à ce débat, citons les dernières lignes de l’essai Eux et nous, publié par Joël Roman en 2006 : tant qu’on dira « eux », ils diront « vous ». Pour que la politique commence, cessons de dire « eux » et apprenons à dire « nous », dès aujourd’hui, et nous retrouverons notre jeunesse. »

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